La Saint Valentin approchant, j’ai été bombardée de publicités « ciblées » pour des dessous féminins sexy. A moi les corps de femmes filiformes affublées de soutiens-gorges rouges bordés de dentelle (toujours bien remplis eux), de porte-jarretelles, de nuisettes, de serre-tailles dignes d’une laisse pour chien, de… wait, what?

L’injonction aux femmes d’être sexy

Disclaimer : Je ne souhaite dans ce billet exclure personne. Par facilité cependant je vais utiliser les termes « femme », « homme », et analyser la question d’un point de vue hétérosexuel. C’est ce que je connais.

« Il faut souffrir pour être belle« , « Habillez-vous sexy pour raviver la flamme », « Faites le craquer pour la Saint Valentin », autant d’injonctions qui passent inaperçu aux yeux de la majorité des gens. Autant d’injonctions toujours adressées aux femmes.

Après la énième pub de St Valentin pour de la lingerie en quelques jours, c’est celle-ci qui m’a achevée…

J’ai préféré masquer la marque, mais il s’agit d’une boutique de lingerie avec une image un peu posh qui fait plutôt dans le soutif dentelle blanche et fleurs habituellement, et où les bonnets sont d’office 1 taille trop petite par rapport à ce qu’annonce l’étiquette.

Ce que ça m’inspire : un parfait mix entre un corset Moyenâgeux et une quintuple laisse pour chien. Un accessoire parfait pour enserrer son estomac et avoir des problèmes de digestion toute la soirée. D’ailleurs ça tombe bien, il faut être maigre pour porter toutes les choses qu’on m’a proposées cette semaine sur Facebook.

Ce genre de choses ne fait ni chaud ni froid à la plupart des personnes qui les voient passer, pourtant le problème est multiple.

Homme qui montre son dos tatoué
Source Pixabay

La séduction a un prix

La lingerie, ça coûte cher. Très cher alors qu’il s’agit généralement de fast-fashion, trop cher pour quelque chose qu’on ne portera pas au quotidien, trop cher pour quelque chose qui va te rendre mal à l’aise, trop cher pour quelque chose qu’on pensera déplacé de porter à la St Valentin suivante.

Avec les 40 € du serre-taille (x3 si tu prends le soutif et le slip assortis, x4 si tu prends aussi le collier de chien), tu peux acheter au moins 6 pots de glace, donc prendre du plaisir au moins 6 fois (plus si tu as plus de volonté que moi). Ou tu peux acheter quelque chose qui te rendra potentiellement malheureuse, mal à l’aise et que ton partenaire n’appréciera peut-être pas à sa juste valeur (au mieux honnêtement, la laisse pour estomac risque de provoquer des moqueries…).

Homme racisé torse nu sous une chute d'eau
Source Pixabay

La séduction est normée

La séduction dans les médias grand public est l’apanage des minces. Les vêtements sont faits pour les minces qui ont un corps « standard », ne parlons même pas des sous-vêtements.

Quid des femmes qui ne peuvent pas s’identifier à ces images, et de leur image d’elles ? Comment font-elles pour se sentir séduisantes quand on leur dit que la séduction s’obtient en portant des sous-vêtements qui ne leur sont pas destinés ? Quid des femmes qui s’aperçoivent devant leur miroir que leur corps n’a rien à voir avec celui des mannequins et que le résultat n’est pas à l’image de ce qu’elles ont vu dans les publicités ?

J’imagine rien de positif pour l’égo et la confiance en soi.

Homme en peignoir court jambes nues qui médite
Source Pixabay

La séduction n’est pas un choix

Il n’y a rien de mal dans le fait de séduire. Si tu le choisis, si tu le fais selon tes propres règles, si tu te sens intègre, si c’est confortable et que ça te fait plaisir. Mais comme l’injonction à la beauté, la « séduction » à la sauce capitaliste est imposée comme un must. Aux femmes.

S’il-vous-plaît, pas de « ouin-ouin » pour dire que l’injonction de la beauté et de la séduction pèse aussi sur les hommes, parce que porter une chemise propre ou ne pas avoir quelque chose qui ressemble à une touffe de poils de cul sous le menton ce n’est pas une injonction à la beauté d’une part, et que d’autre part on est beaucoup plus tolérant voire laxiste quand il s’agit de l’apparence des hommes.

Homme en t-shirt blanc bras nus qui regarde l'horizon
Source Pixabay

La séduction a un sexe

La séduction est donc un problème de femme. En tant que femme, on peut parfois s’estimer heureuse si notre partenaire a un caleçon sans trous, dont les élastiques remplissent encore leur fonction ou qui n’est pas complètement décoloré. Et si on a droit à un slip un peu sexy plutôt qu’un boxer Bob l’Éponge, c’est le jackpot.

Je ne m’enfoncerai même pas dans les histoires de mecs qui portent le même slip 4 jours de suite en utilisant toutes les faces disponibles. Ils existent, ils ne sont pas un mythe, et vous ne le devineriez pas en les voyant habillés.

J’ai regardé un Stand-up de Amy Schumer sur Netflix (« The Leather Special », pas mon préféré même si certaines choses m’ont fait rire, par contre je peux te recommander d’autres stand-ups de femmes disponibles sur Netflix). J’ai beau être hyper consciente et informée sur le sujet de l’inégalité des sexes, lire, écouter et regarder beaucoup, elle a dit quelque chose qui m’a fouettée en pleine face (une bifle virtuelle)(Amy Schumer est assez vulgaire, j’aime bien, du coup j’en profite pour rester dans le ton).

Ce qui suit est assez cru, ça parle de sexe, libre à toi de sauter un paragraphe si tu le sens pas.

Elle parlait des premières fois, à quel point les femmes s’en font de ne pas sentir bon entre les jambes, jusqu’à se mettre du déodorant, à s’excuser auprès du mec d’avoir une odeur… Puis d’enchaîner avec une réplique du genre : « Les hommes ne font jamais ça. Jamais aucun ne vous éjacule dans la bouche sans vous prévenir en vous disant ensuite timidement Oh désolé j’espère que mon sperme n’a pas trop mauvais goût ».

Et là, alors qu’on était séparés de la St Valentin de plusieurs mois et que je n’avais pas encore été harcelée d’images de soutiens-gorges de torture sur des corps parfaits, je me suis dit « Mais p*tain elle a raison bordel ! » et j’ai instantanément pensé à ma dernière première fois avec un homme, où j’avais mis des p*tains de sous-vêtements inconfortables au possible – mais sexy hein – pour me retrouver devant un gars dans un caleçon immonde qui ne s’est pas posé la question une seule seconde en choisissant ses sous-vêtements ce jour-là, alors qu’il savait très bien que les chances étaient grandes d’en arriver là.

Ne me parlez pas de raisonnement anecdotique, j’ai des copines, et on parle.

(…) les hommes sont absents des photos dites érotiques, le champ de l’érotisme est trop souvent assigné aux femmes, objets de désir des hommes dans une société patriarcale genrée.

Projet photo Lusted Men : photographies d’hommes érotiques – Rockie
Homme qui danse le hip hop en rue
Source Pixabay

Erotiser les hommes

Comme souvent, le problème n’est pas unilatéral. Si d’une part ce serait vraiment bien, que dis-je, il faut qu’on arrête de mettre la pression aux femmes en leur vendant des sous-vêtements horribles à porter, il faut aussi cesser de leur faire porter le poids de la séduction dans le couple (couple d’un soir ou d’une vie, même combat !).

Si l’on trouve pléthore d’articles qui expliquent à la fâme comment raviver la flamme de son couple, on en trouve rarement qui incitent l’homme à remettre en question son hygiène (pour tirer sur les femmes qui ne s’épilent pas il y a du monde par contre, et l’argument biaisé de l’hygiène revient sans cesse).

Même si le mâle en question a une hygiène irréprochable (non, les hommes ne sont pas tous des gros dégueulasses, merci je pense que la majorité des hommes prennent des douches régulièrement et changent de slips quand il faut), on ne lui dit jamais non plus qu’il peut séduire sa compagne. Qu’il doit séduire sa compagne.

Homme asiatique qui prend un bain
Source Pixabay

Qu’il peut se comporter de manière sexy, qu’il peut porter des slips qui mettent ses fesses en valeur (laissons tomber les strings pour tout le monde svp, c’est juste plus possible aujourd’hui), qu’il peut trouver des manières de pimenter le sexe (il y a le très inclusif Jouissance Club* qui donne plein d’astuces, mais dialoguer avec sa partenaire et accepter d’écouter ses besoins sans le prendre comme une attaque personnelle à sa virilité ça marche super bien aussi).

Il y a donc un deux poids, deux mesures : nous sommes cernés de corps masculins exhibés et pourtant invisibles, tandis que celui des femmes est toujours visible, toujours objet de commentaires, même sous douze couches de vêtements.

(…)

A quoi est dû cet aveuglement sélectif ? La première raison tient de l’homophobie intériorisée. Nos codes contemporains considèrent la séduction comme appartenant aux femmes, par droit naturel. L’art de plaire constitue leur production esthétique exclusive – leur peinture, leur cinéma, leur niche culturelle. Du coup, tout homme s’arrogeant ces compétences « féminines » prend le risque assimilé à une femme, ce qui ferait de lui mathématiquement un homosexuel.

« Pourquoi les corps des hommes sont-ils invisibles ?« , Le Monde

Le sujet a été mis sur la table par plusieurs personnalités, comme Maïa Mazaurette dans le podcast Les couilles sur la table(1), ou encore QueenCamille dans cet article sur le site Madmoizelle qui résume bien la situation et qui en plus présente des comptes Instagram de photos d’hommes érotiques (où tu pourras voir que l’érotisme n’a pas a être dégradant, inconfortable, cher, ridicule, normé, avilissant… on veut la même chose pour toutes et tous !).

(1) même si j’ai un peu de retenue quant à cette intervention car je la trouve assez dure sur la question de l’hygiène masculine et que je trouve que ça part un peu en injonction à la beauté envers les hommes, je n’ai pas envie d’un monde où tout le monde se sent obligé d’acheter des crèmes hydratantes et de s’épiler personnellement…

(…) pourquoi est-elle si déséquilibrée ? Pourquoi les femmes passent-elles, en moyenne, tellement plus de temps, d’énergie, d’argent, à soigner leur apparence physique ? Quel lien entretient cette charge esthétique avec la répartition traditionnelle des rôles de séduction, où les hommes sont des sujets de désir (« les hommes n’ont pas de corps » écrivait Virginie Despentes dans King Kong Théorie*), et les femmes des objets de désir ?

Je ne suis plus OK pour l’asymétrie permanente en toutes choses, que ce soit dans le champ de la séduction pour ce qui concerne l’effort de présentation, l’âge et le reste, ou tous les domaines : je ne trouve plus acceptables les exigences irréalistes de beaucoup d’hommes en matière d’apparence sans qu’il n‘y ait aucun effort de leur part en miroir, aucune remise en question de la leur. Et eux, qu’est-ce qu’ils font pour se rendre présentables ou aimables ? Pour nous plaire ? Ils se coupent les ongles de pied au moins ?

1 – Les Couilles sur la table avec Maïa Mazaurette | 2 – Extrait de « Les Corps Abstinents* », Emmanuelle Richard (Flammarion)

Quand toutes les images érotiques que nous voyons sont destinées aux hommes, que les femmes ne peuvent souvent pas s’y identifier, et que les hommes ne se sentent pas concernés par la séduction, il n’est pas difficile de comprendre que certaines femmes se désintéressent du sexe avec leur partenaire masculin.

Toutefois, cette question de l’expression des désirs est complexe, d’un côté on voit à quel point on a amputé les femmes de tout un imaginaire (est-on en mesure de faire une cartographie des désirs féminins, hétéro ou pas d’ailleurs, à la mesure du catalogue de you porn ?) et que mettre en scène ce désir est d’une grande importance pour créer de nouvelle formes de représentation de la sexualité. Mais de l’autre côté, il nous faut également garder à l’esprit que si la liberté de désir est totale à l’intérieur de nos cerveaux, il n’en est pas de même dans le réel et dans la relation avec l’autre où la question du consentement est centrale. Ne pas faire comme tous ces hommes qui pensent que la réalisation de leurs désirs leur est due au mépris même du désir de l’autre. Ne pas baiser seul.e en somme. 

(…)

L’enjeu dans ces travaux (j’y inclus les miens), ce n’est pas tant d’objectiver les hommes comme eux le font avec les femmes mais d’explorer nos désirs sans attendre qu’un homme vienne nous les révéler et aussi de décaler ces désirs du système de l’échange économico-sexuel qui régit encore l’imaginaire sexuel standard hétéro. C’est pouvoir dire : je n’ai pas besoin d’un mec avec du flouze, j’en ai, je n’ai pas besoin d’un homme qui me protège, je m’en charge. Ça dégagé, on peut commencer à jouer.

Erotisme hétérosexuel, comment désirer les hommes ? – Mauvais genre
Homme chemise ouverte sur torse nu
Source Pixabay

Se rencontrer à mis chemin : c’est quoi la solution ?

L’objectif, ce n’est donc pas d’interdire aux femmes de séduire (de temps en temps c’est amusant d’entrer dans la peau d’un nouveau personnage, quand c’est totalement spontané, qu’on s’y sent bien et qu’on n’a pas l’impression d’être obligé.e), ni d’imposer aux hommes de souffrir à coups de strings qui scient l’entre-fesses, d’épilations non désirées ou de serre-taille.

L’érotisme égalitaire, c’est un jeu de séduction où chacun dans le couple prend sa responsabilité dans l’entretien de la flamme, à parts égales, où chacun se sent libre d’être et d’agir tout en respectant les limites de l’autre, où la séduction ne se limite pas à un sous-vêtement, où la femme ne se sent pas moins attirante parce qu’elle porte un ensemble en coton dépareillé et où l’homme n’a pas peur de jouer de sa sensualité.

Qu’on foute un peu plus la paix aux femmes (et qu’elles puissent moins se mettre la pression), que les hommes soient eux un peu plus attentifs. Rencontrons-nous à mi-chemin !

Et où tout le monde comprend qu’un homme érotique, ce n’est pas un homme «  » »viril » » » avec un costard bleu, une rolex et une attitude de tyran. Oui c’est de toi que je parle Christian. Zéro pointé en séduction Mr Grey.

Couple tatoué homme torse nu
Source Pixabay

PS : Pour contrebalancer la tendance pas du tout égalitaire, j’ai illustré l’article d’hommes séduisants à leur manière, sans corset serre-taille ou string en dentelle. J’ai essayé de balayer large, mais s’il est compliqué de trouver des photos d’hommes érotiques (autant que je peux me le permettre sur ce blog) sur Internet, il est encore plus difficile de sortir de certaines normes.

Image de couverture Pixabay

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