Dernière mise à jour le 7 mai 2025

Pourquoi est-il normal d’attendre d’une femme d’être sexy, quand il est presque impossible d’imaginer un homme qui s’érotise ? Regarde tout autour de toi, dans les médias, sur les réseaux sociaux : les femmes sont attirantes, visuelles, les hommes sont actifs, avec peu de conscience de leur corps. La Saint Valentin approchant, j’ai été bombardée de publicités " ciblées " pour des dessous féminins sexy. Matraquée de corps de femmes filiformes affublées de soutiens-gorges rouges bordés de dentelle (toujours bien remplis eux), de porte-jarretelles, de nuisettes, de serre-tailles dignes d’une laisse pour chien, de… wait, what?

L’injonction aux femmes d’être sexy

Disclaimer : Je ne souhaite dans ce billet exclure personne. Par facilité, cependant, je vais utiliser les termes " femme ", " homme ", et analyser la question d’un point de vue hétérosexuel. Je pense que le problème se pose surtout dans ce cadre-là.

Il faut souffrir pour être belle" , " Habillez-vous sexy pour raviver la flamme ", " Faites le craquer pour la Saint Valentin ", autant d’injonctions qui passent inaperçues aux yeux de la majorité des gens. Elles sont normales ! Et autant d’injonctions toujours adressées aux femmes.

Après la énième pub de St Valentin pour de la lingerie en quelques jours, c’est celle-ci qui m’a achevée…

Ce que ça m’inspire : un parfait mix entre un corset Moyenâgeux et une quintuple laisse pour chien. Un accessoire parfait pour enserrer son estomac et avoir des problèmes de digestion toute la soirée. Le type de " vêtement " que tu vas porter une seule fois dans ta vie, 35 € jetés à la poubelle.

Ce genre de choses ne fait ni chaud ni froid à la plupart des personnes qui les voient passer, pourtant ça me pose plusieurs problèmes.

La séduction a un prix

La lingerie, ça coûte cher. Très cher. Alors qu’il s’agit généralement de fast-fashion. Trop cher pour quelque chose que tu ne porteras pas au quotidien, trop cher pour quelque chose qui peut te rendre mal à l’aise, trop cher pour quelque chose d’inconfortable, trop cher pour quelque chose dont ton partenaire va " profiter " pendant quelques minutes, trop cher pour quelque chose que tu penseras dépassé pour la prochaine St Valentin (de toute façon, il y aura de nouvelles publicités entre temps, pour t’inciter à acheter d’autres sous-vêtements et accessoires divers).

Avec les presque 40 € du serre-taille (x3 si tu prends l’ensemble assorti, x4 si tu prends aussi le collier de chien), tu peux acheter au moins 6 pots de glace, donc prendre du plaisir au moins 6 fois (et même plus, si tu as plus de volonté que moi).

La séduction est normée

La séduction dans les médias grand public est l’apanage des minces. Les vêtements sont faits pour les minces qui ont un corps " standard ", ne parlons même pas des sous-vêtements.

Quid des femmes qui ne peuvent pas s’identifier à ces images, et de leur estime ? Comment font-elles pour se sentir séduisantes quand on leur dit que la séduction s’obtient en portant des sous-vêtements qui ne leur sont pas destinés ? Quid des femmes qui s’aperçoivent devant leur miroir que leur corps n’a rien à voir avec celui des mannequins et que le résultat n’est pas à l’image de ce qu’elles ont vu dans les publicités ?

Rien de positif pour l’égo et la confiance en soi.

La séduction n’est pas un choix

Il n’y a rien de mal dans le fait de séduire. Si tu le choisis, si tu le fais selon tes propres règles, si tu te sens intègre, si c’est confortable et que ça te fait plaisir. Mais comme l’injonction à la beauté, la " séduction " à la sauce capitaliste est imposée comme un devoir. Incombant uniquement aux femmes. En tant que femme, faire le choix du confort et du côté pratique, c’est souvent être jugée par les autres, y compris dans le cadre d’une relation de séduction.

On est beaucoup plus tolérant·es, voire laxistes, quand il s’agit de l’apparence des hommes. Aucune norme ne force les hommes à porter des choses inconfortables pour répondre aux standards de séduction liés à leur genre.

La séduction a un genre

La séduction est donc un problème de femme. En tant que femme, on peut parfois s’estimer heureuse si notre partenaire a un caleçon sans trous, dont les élastiques remplissent encore leur fonction ou qui n’est pas complètement décoloré. Et si on a droit à un slip un peu sexy plutôt qu’un boxer Bob l’Éponge, c’est le jackpot.

Je ne m’enfoncerai même pas dans les histoires de mecs qui portent le même slip 4 jours de suite en utilisant toutes les faces disponibles. Ils existent, ils ne sont pas un mythe, et vous ne le devineriez pas en les voyant habillés.

J’ai regardé une comédie Stand-up de Amy Schumer sur Netflix (" The Leather Special "). J’ai beau être hyper conscientisée et informée sur le sujet de l’inégalité des sexes, lire, écouter et regarder beaucoup, elle a dit quelque chose qui m’a fouettée en pleine face…

Elle parlait des premières fois, à quel point les femmes s’en font de ne pas sentir bon entre les jambes, jusqu’à se mettre du déodorant, à s’excuser auprès du mec d’avoir une odeur… Puis d’enchaîner avec une réplique du genre : " Les hommes ne font jamais ça. Jamais aucun ne vous éjacule dans la bouche sans vous prévenir en vous disant ensuite timidement Oh désolé, j’espère que mon sperme n’a pas trop mauvais goût ".

Je me suis dit " Mais p*tain elle a raison bordel ! " et j’ai instantanément pensé à ma dernière première fois avec un homme, où j’avais mis des p*tains de sous-vêtements inconfortables au possible – mais sexy hein – pour me retrouver devant un gars dans un caleçon immonde qui ne s’est pas posé la question une seule seconde en choisissant ses sous-vêtements ce jour-là, alors qu’il savait très bien que les chances étaient grandes d’en arriver là.

Ne me parlez pas de raisonnement anecdotique, j’ai des copines, et on parle.

Et tout ça pourquoi ? Parce que, depuis des décennies, on nous vend des conneries en tout genre en créant un mal-être chez nous. En nous faisant croire que notre entrejambe pue (non, c’est juste une odeur normale, si ça ne te goûte pas, change de type de partenaire…), que nous sommes moches avec des poils, qu’on n’a de valeur qu’en portant de jolis vêtements et sous-vêtements, que nos cheveux nécessitent des soins tous les mois, d’ailleurs notre type de cheveu et notre couleur ne sont probablement pas les bons…

(…) les hommes sont absents des photos dites érotiques, le champ de l’érotisme est trop souvent assigné aux femmes, objets de désir des hommes dans une société patriarcale genrée.

Projet photo Lusted Men : photographies d’hommes érotiques – Rockie
Homme qui danse le hip hop en rue
Source Pixabay

Erotiser les hommes

Comme souvent, le problème n’est pas unilatéral. Si d’une part, il faut qu’on arrête de mettre la pression aux femmes en leur vendant des sous-vêtements horribles à porter, il faut aussi cesser de leur faire porter le poids de la séduction dans le couple (couple d’un soir ou d’une vie, même combat !).

Si l’on trouve pléthore d’articles qui expliquent à la femme comment raviver la flamme de son couple, on en trouve rarement qui incitent l’homme à remettre en question son hygiène (pour tirer sur les femmes qui ne s’épilent pas, il y a du monde par contre, et l’argument biaisé de l’hygiène revient sans cesse, à croire que tout est sale chez la femme au naturel), ou à prendre des initiatives.

Les magazines féminins et autres médias du type nous conseilleraient de faire ce genre de demandes à nos mecs, s’ils étaient vraiment de notre côté et n’étaient pas financés par des annonceurs qui vendent de la merde.

Même si le mâle en question a une hygiène irréprochable (les hommes ne sont pas tous des gros dégueulasses, heureusement je pense que la majorité des hommes prennent des douches régulièrement et changent de slips quand il faut), on ne lui dit jamais non plus qu’il peut séduire sa compagne. Encore moins qu’il doit séduire sa compagne.

Qu’il peut se comporter de manière sexy, qu’il peut porter des slips qui mettent ses fesses en valeur (laissons tomber les strings pour tout le monde svp, c’est juste plus possible), qu’il peut trouver des manières de pimenter le sexe (il existe plein de contenu sur le sujet aujourd’hui, mais dialoguer avec sa partenaire et accepter d’écouter ses besoins sans le prendre comme une attaque personnelle à sa virilité ça marche super bien aussi).

Il y a donc un deux poids, deux mesures : nous sommes cernés de corps masculins exhibés et pourtant invisibles, tandis que celui des femmes est toujours visible, toujours objet de commentaires, même sous douze couches de vêtements.

(…)

A quoi est dû cet aveuglement sélectif ? La première raison tient de l’homophobie intériorisée. Nos codes contemporains considèrent la séduction comme appartenant aux femmes, par droit naturel. L’art de plaire constitue leur production esthétique exclusive – leur peinture, leur cinéma, leur niche culturelle. Du coup, tout homme s’arrogeant ces compétences " féminines " prend le risque assimilé à une femme, ce qui ferait de lui mathématiquement un homosexuel.

Pourquoi les corps des hommes sont-ils invisibles ?" , Le Monde

Le sujet a été mis sur la table par plusieurs personnalités, comme Maïa Mazaurette dans le podcast Les couilles sur la table,disponible ci-dessous, ou encore QueenCamille dans un article sur le site Madmoizelle (Masculinité et sensualité, l’équation impossible ?), qui résume bien la situation et qui en plus présente des comptes Instagram de photos d’hommes érotiques (où tu pourras voir que l’érotisme n’a pas a être dégradant, inconfortable, cher, ridicule, normé, avilissant… on veut la même chose pour toutes et tous !).

(…) pourquoi est-elle si déséquilibrée ? Pourquoi les femmes passent-elles, en moyenne, tellement plus de temps, d’énergie, d’argent, à soigner leur apparence physique ? Quel lien entretient cette charge esthétique avec la répartition traditionnelle des rôles de séduction, où les hommes sont des sujets de désir ( " les hommes n’ont pas de corps  " écrivait Virginie Despentes dans King Kong Théorie), et les femmes des objets de désir ?

Je ne suis plus OK pour l’asymétrie permanente en toutes choses, que ce soit dans le champ de la séduction pour ce qui concerne l’effort de présentation, l’âge et le reste, ou tous les domaines : je ne trouve plus acceptables les exigences irréalistes de beaucoup d’hommes en matière d’apparence sans qu’il n‘y ait aucun effort de leur part en miroir, aucune remise en question de la leur. Et eux, qu’est-ce qu’ils font pour se rendre présentables ou aimables ? Pour nous plaire ? Ils se coupent les ongles de pied au moins ?

1 – Les Couilles sur la table avec Maïa Mazaurette | 2 – Extrait de  " Les Corps Abstinents* " , Emmanuelle Richard (Flammarion)

Quand toutes les images érotiques que nous voyons sont destinées aux hommes, que les femmes ne peuvent souvent pas s’y identifier, que les outils de séduction destinés aux femmes engendre de l’inconfort et des contraintes, et que les hommes ne se sentent pas concernés par la séduction, il n’est pas difficile de comprendre que certaines femmes se désintéressent du sexe avec leur partenaire masculin.

Toutefois, cette question de l’expression des désirs est complexe, d’un côté on voit à quel point on a amputé les femmes de tout un imaginaire (est-on en mesure de faire une cartographie des désirs féminins, hétéro ou pas d’ailleurs, à la mesure du catalogue de YouPorn ?) et que mettre en scène ce désir est d’une grande importance pour créer de nouvelles formes de représentation de la sexualité. Mais de l’autre côté, il nous faut également garder à l’esprit que si la liberté de désir est totale à l’intérieur de nos cerveaux, il n’en est pas de même dans le réel et dans la relation avec l’autre où la question du consentement est centrale. Ne pas faire comme tous ces hommes qui pensent que la réalisation de leurs désirs leur est due au mépris même du désir de l’autre. Ne pas baiser seul·e en somme. 

(…)

L’enjeu dans ces travaux (j’y inclus les miens), ce n’est pas tant d’objectiver les hommes comme eux le font avec les femmes mais d’explorer nos désirs sans attendre qu’un homme vienne nous les révéler et aussi de décaler ces désirs du système de l’échange économico-sexuel qui régit encore l’imaginaire sexuel standard hétéro. C’est pouvoir dire : je n’ai pas besoin d’un mec avec du flouze, j’en ai, je n’ai pas besoin d’un homme qui me protège, je m’en charge. Ça dégagé, on peut commencer à jouer.

Erotisme hétérosexuel, comment désirer les hommes ? – Mauvais genre (article dépublié)
Homme chemise ouverte sur torse nu
Source Pixabay

Se rencontrer à mis chemin : c’est quoi la solution ?

L’objectif, ce n’est donc pas d’interdire aux femmes de séduire (de temps en temps c’est amusant d’entrer dans la peau d’un nouveau personnage, quand c’est totalement consenti, confortable et volontaire), ni d’imposer aux hommes de souffrir à coups de strings qui scient l’entre-fesses, d’épilations non désirées ou de serre-taille.

L’érotisme égalitaire, c’est un jeu de séduction où chacun dans le couple prend sa responsabilité dans l’entretien de la flamme, à parts égales, où chacun se sent libre d’être et d’agir tout en respectant les limites de l’autre, où la séduction ne se limite pas à un sous-vêtement, où la femme ne se sent pas moins attirante parce qu’elle porte un ensemble en coton dépareillé et où l’homme n’a pas peur de jouer de sa sensualité.

Qu’on foute un peu plus la paix aux femmes (et qu’elles puissent moins se mettre la pression), que les hommes soient, eux, un peu plus attentifs. Rencontrons-nous à mi-chemin !

Et qu’on réalise toustes qu’un homme érotique, ce n’est pas un homme " viril " avec un costard bleu, une rolex et une attitude de tyran. Oui c’est de toi que je parle Christian. Zéro pointé en séduction Mr Grey.

Couple tatoué homme torse nu
Source Pixabay
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